“Les 7 laïcités françaises” — Le modèle français de laïcité n’existe pas

Vincent Bosc
3 min readOct 30, 2020

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Comprendre et repenser les laïcités en 2020

La laïcité est sans cesse invoquée, convoquée et opposée aux dérives de l’islamisme radical et du takfirisme sur le sol français. Pourtant, cette notion tantôt érigée en valeur, en principe et en idéal fait dissensus au sein du corps social français. Cet ouvrage propose une thèse inédite : il n’existe pas de modèle de laïcité unique. Utile et salvateur pour poser les fondements d’un débat démocratique et apaisé.

Dans cette étude de sociologie historique datant de 2015, l’historien-sociologue Jean Baubérot réfute l’idée selon laquelle il existe un modèle de laïcité unique en France. Selon l’auteur, il existe sept laïcités françaises et la croyance en une laïcité “une et indivisible” ne permet pas de comprendre le glissement actuel de gauche à droite de la laïcité dominante. Cette vision fixiste et essentialiste du principe de laïcité entretient même la confusion des esprits. Elle annihile la capacité des acteurs sociaux à mener des débats éclairés et apaisés sur ce sujet. Essentialisée, la laïcité est falsifiée et captée par des agents qui se présentent comme seuls dépositaires de “la laïcité légitime”. Un exemple : invoquée en 1905 par les gauches de gouvernement, la laïcité est aujourd’hui revendiquée par la droite dure qui travestit l’esprit de la loi de 1905 en réduisant celle-ci à une loi de neutralité de l’espace public alors que le texte de loi adopté — porté par Aristide Briand — est profondément libéral (garanties des libertés de conscience et de non-discrimination). Rappeler l’historicité de la laïcité s’avère donc essentiel pour comprendre la nature des rapports de force entre les sept représentations existantes, leur caractère mouvant ainsi que leurs conditions socio-historiques de production.

L’approche mise en œuvre est sociologique. J. Baubérot dresse une typologie des laïcités et s’inspire de la méthode des idéaux-types initiée par Max Weber afin de faire ressortir les caractéristiques saillantes de chacune des sept laïcités. Il réutilise quatre critères construits avec la sociologue canadienne Micheline Milot: la liberté de conscience et ses divers rapports avec la liberté de religion, l’égalité des droits sans condition religieuse, la séparation et la neutralité et les diverses manières de les envisager. A partir de cette grille de lecture, il distingue quatre laïcités historiques de gauche présentes en 1905 (antireligieuse, gallicane, de séparation stricte/inclusive) et trois nouvelles laïcités (identitaire, ouverte, concordataire). Au sein des laïcités historiques, les laïcités religieuse et gallicane sont des laïcités religion civile. Cette première conception voit la laïcité comme un moyen d’imposer une sécularisation complète, la seconde veut limiter la liberté de conscience dans certains lieux. Dans les deux cas, la religion n’est pas véritablement autonome et séparée de l’Etat. Les troisième et quatrième laïcités historiques sont des laïcités de type séparatiste. Le principal désaccord entre leurs partisans (ligne A. Briand/ligne F. Buisson) concerne l’article 4 de la loi de 1905.

Au sein des nouvelles laïcités, la laïcité ouverte s’est construite en réaction à une supposée laïcité dominante qui ne manifesterait pas assez d’ouverture envers la religion. La laïcité identitaire distingue quant à elle les religions qui appartiendraient à l’identité de la France (le catholicisme par exemple) de celles qui seraient importées (l’Islam est particulièrement visé). Enfin, la laïcité concordataire se caractérise par un système de cultes reconnus. Cette laïcité privilégie certaines religions et convictions par rapport à d’autres. J. Baubérot, présente via des exemples, les réélaborations de ces sept représentations au sein du champ social et met en évidence l’évolution du rapport de force dans une perspective socio-historique (la laïcité gallicane est aujourd’hui très présente, la laïcité identitaire émerge depuis le début du XXIème siècle, incarnant le glissement à droite du principe de laïcité). Dans une dernière partie, J Baubérot réutilise la théorie des seuils de laïcisation qu’il a développée dans sa thèse pour expliquer le passage de l’hégémonie de la gauche à celle d’une droite dure en matière de laïcité. Il plaide pour un renouveau de la laïcité et une meilleure prise en compte des démarches de connaissance. Repenser la laïcité lui semble nécessaire au delà des postures victimaires, des travestissements et des grilles de lecture inadaptées, omniprésentes dans le débat public (universalisme républicain vs communautarismes). Et de conclure : comment la laïcité peut-elle constituer un facteur d’innovation ?

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Vincent Bosc

Professeur d’histoire-géographie, je questionne mon métier et l’actualité sous un angle scientifique, artistique et citoyen.